Séminaire du 25 Novembre 2016 : « Le public de cinéma au Burkina Faso »

Vendredi 25 novembre 2016 : Justin Ouoro (Université de Ouagadougou) 

 

Présentation de Justin Ouoro

M. Ouoro analysera des recherches récentes menées à partir d’enquêtes portant sur les pratiques spectatorielles au Burkina Faso.


Questions des intervenants et réponses de M. Ouoro: 

QVous parlez de la pratique du cinéma mais vous n’abordez pas la question de la programmation des salles. Existe-t-il différents types de salles avec des programmations différentes, des prix différents ? Lesquelles ? Comment les spectateurs choisissent-ils une salle plutôt qu’une autre ?

R: La question de l’exploitation et de la programmation reste en effet un des maillons faibles du métier de cinéma au Burkina Faso. Puisque des salles existent, il y a de la programmation tout de même. Elle est assurée par les gestionnaires de ces salles. Ce sont des « privés » qui s’organisent pour avoir des films pour leurs salles. Il y a différentes salles : celles qui sont couvertes (ciné Burkina et ciné Neerwaya) dont les prix d’entrée sont de 1000 à 2000 FCFA, et les salles non couvertes dont le prix d’entrée est de 500 à 1000 FCFA.

Ce sont quasiment les mêmes films qui circulent de façon alternée dans les deux salles couvertes. Les salles périphériques (non couvertes) reçoivent bien plus tard les films récents. Les deux salles de l’Institut français de Ouagadougou ont bien entendu des programmations spécifiques.

Je n’ai pas posé de question spécifique relative au choix des salles par les spectateurs. Néanmoins, il me semble que c’est le film proposé qui guide le choix de la salle, et notamment les salles couvertes. La question est posée dans la suite de l’enquête. Les réponses viendront infirmer ou confirmer mon impression.

Vous parlez de 10 salles à Ouagadougou, quelle est la place du vidéoclub au Burkina Faso ?

Il y a effectivement un nombre important de vidéoclubs au Burkina Faso. Je ne puis malheureusement vous en donner le chiffre exact à défaut d’un recensement.  Ces vidéoclubs sont concentrés dans la périphérie des villes de Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso et se trouvent disséminés partout dans les villes moyennes comme dans les villages. On y diffuse généralement des matchs de football et des films américains, indiens, asiatiques, des films nigérians (Nollywood), etc. mais rarement de films africains francophones (peut-être parce qu’ils sont relativement peu disponibles).

Vous liez systématiquement la question de la bonne santé des salles à celle du nombre de films produits au Burkina Faso. Mais qu’en est-il de la présence de films d’autres pays (la France, les Etats-Unis?) Les salles ne se reposaient pas, j’imagine, uniquement sur le cinéma national. Pourquoi les salles ont-elles fermé? Ces films ont-ils cessé d’être distribués? Je me pose la même question sur ce qui passe dans les salles de Ouagadougou actuellement, puisque vous indiquez que la production nationale a récemment beaucoup augmenté.

Certes, les salles font voir parfois des films français, américains, indiens et autres. Mais ce ne sont pas ces films qui remplissent les salles. Les gens se bousculent à l’entrée des salles surtout lorsqu’il s’agit de films nationaux ou tout au moins de la sous-région (Côte d’Ivoire). Plusieurs facteurs ont contribué à la fermeture de certaines salles. Des problèmes liés à la mauvaise gestion, à la reconfiguration des villes (les salles étant de plus en plus éloignées des populations), à la vulgarisation de la télévision, et aussi à la baisse de la production cinématographique nationale… Ce dernier facteur n’est pas à négliger. La preuve est qu’actuellement, il y a un regain d’intérêt des populations jeunes à aller au cinéma. Les producteurs locaux ne fonctionnent pas à perte, nous ont-ils assuré. D’ailleurs, ils clament leur succès au regard des foules que leurs films mobilisent.

Vous parlez d’une nouvelle dynamique entre celle de l’ « école du soir » dans les années 60 à la « cours de récréation » aujourd’hui? Mais ne peut-on pas dire que ces deux visions sont une constante et qu’il faut distinguer, à chaque époque, entre une approche élitiste du cinéma qui défend l’idée d’éducation (les réalisateurs, les cinéphiles) et une approche populaire qui serait plutôt du côté du divertissement? Quelle distinction faites-vous entre ‘spectateur’ et ‘cinéphile’?

Il se peut que ce soit effectivement une constante dans la pratique cinématographique que d’avoir cette ambivalence entre éducation et distraction, selon que l’on est cinéphile ou spectateur. Encore qu’il n’est pas exclu que le cinéphile y perçoive les deux versants à la fois. Mais que toute une époque (majoritairement) y voit uniquement la dimension éducative ou distractive me paraît assez typique, pour ne pas dire atypique. Cela pourrait informer sur le devenir du film.

Spectateur / cinéphile ! Pour l’instant, je souscris au point de vue de certains sociologues du cinéma comme Ethis. Le cinéphile est celui qui aime le cinéma et pour qui le cinéma occupe une place dans la vie. Il serait un érudit par rapport au spectateur qui est un amateur. Mais dans le fait, la ligne de démarcation peut paraître plus complexe que cela. Un amateur n’est-il pas aussi celui qui aime le cinéma ? …

Quand vous parlez de cinéma populaire, voulez-vous dire uniquement des films Burkinabè ou des films d’autres pays de la sous-région sont-ils intégrés à cette programmation ?

Il s’agit en grande partie de films burkinabè. Il y a parfois aussi des films ivoiriens.

J’aimerais savoir si Monsieur Ouoro peut nous dire la différence entre le public qui fréquentait les salles de cinéma dans les années 70, 80, 90 et celui qui  les fréquente aujourd’hui

Sans une étude précise sur la question, on ne peut donner une réponse certaine. Dans les années 70, 80, 90 le public du cinéma était sans doute Burkinabè avec les préoccupations des Burkinabè de l’époque. La télévision était moins répandue, la gestion des salles de cinéma peut-être mieux structurée (les salles étaient majoritairement gérées par une structure étatique), des films nationaux produits par des professionnels du métier (des cinéastes sortis de grandes écoles de formation)… Les élans nationalistes (70) et révolutionnaires (80) ont certainement contribué à installer une certaine culture cinématographique au Burkina Faso. Ce contexte n’est plus celui d’aujourd’hui. L’influence de la télévision, la démocratisation des outils de production, la raréfaction des sources publiques de financement ont induit une pratique cinématographique qui n’est pas celle d’antan. Cela a aussi, sans doute façonné un certain public.

Pour l’expérience que je connais du Bénin, lorsque les salles de cinéma existaient, les films projetés étaient la plupart du temps des films étrangers, surtout américains et indiens. J’aimerais savoir s’il en est de même pour le Burkina

Les pays de la sous-région ouest-africaine francophone ont de nombreuses expériences communes. Les films étrangers ont toujours été présents dans nos salles. Peut-être ce qu’il faut relever au Burkina Faso, c’est la présence du Fespaco et la volonté politique qui n’a pas encore fait défaut en matière de cinéma. Le Burkina Faso s’est investi dans la formation des professionnels du cinéma depuis 1977. En 1963, il disposait déjà d’une télévision nationale dont les techniciens ont régulièrement été formés et recyclés. Cela a permis de disposer d’un capital humain substantiel qui a activement participé à la production filmique nationale. A côté des films étrangers, il y a eu, et il y a toujours des films nationaux dans les salles. Enfin, grâce au Fespaco, il est inimaginable que toutes les salles soient fermées à Ouagadougou. Le politique s’est toujours investi pour assurer la continuité de ce festival, et cela ne va pas sans un minimum de salles.

Je me rends compte que contrairement au Bénin, certaines salles de cinéma sont demeurées ouvertes au Burkina. Dans mon pays toutes les salles ont été louées ou même vendues aux églises qui en font leur temple. Comment le Burkina-Faso a-t-il pu en sauver? Et qui sont ceux qui gèrent ces salles? Les privés ou l’Etat?

En plus de ce que j’ai dit précédemment et qui explique « la survie » de certaines salles au Burkina Faso, il faut ajouter qu’aujourd’hui les salles sont exclusivement gérées par des privés. Des réflexions sont en cours pour voir dans quelles mesures des collectivités locales peuvent s’impliquer dans la gestion de certaines salles dans les communes urbaines.

Je me rends compte que seul environ 10% des personnes interviewées, parlent de la qualité des films. On sait néanmoins qu’entre les productions des cinéastes comme Idrissa, Kaboré, Fanta Nacro… et les productions des jeunes aujourd’hui, la qualité a pris un énorme coup au niveau des productions. Alors n’envisagez-vous pas diversifier un peu le public afin d’avoir des données plus précises?

C’est juste. La suite de l’enquête devra s’étendre sur un échantillon plus large et j’espère plus diversifié du point de vue des catégories socioprofessionnelles et de l’espace.