Les filières cinématographiques en Afrique et au Moyen-Orient au prisme du genre

Les filières cinématographiques en Afrique et au Moyen-Orient au prisme du genre : Enjeux, questionnements et terrains

Évoquer le lien entre femmes et cinéma en Afrique et au Moyen-Orient comme au-delà, nous renvoie à deux enjeux symboliques forts dont nous pouvons suivre les développements dans les médias comme dans la recherche. Il s’agit en premier lieu de penser la condition des femmes dans les images et les récits filmiques et/ou d’y questionner les stéréotypes genrés véhiculés par ces films. Réalisés par des femmes comme par des hommes, les films sur l’émancipation des femmes dans la tension entre tradition et modernité sont caractéristiques des cinémas des nouvelles indépendances et pourraient presque constituer une catégorie à part entière, un révélateur des désillusions liées aux conservatismes des états postindépendance (Naaman 2000), comme la persistance des dominations dans un contexte postcolonial. La liste en est très longue depuis La noire de… (1966, Ousmane Sembene), en passant par La citadelle (Mohamed Chouikh, 1988), Les silences du palais (Moufida Tlatli, 1993), Fatima, l’Algérienne de Dakar (Med Hondo, 2004) jusqu’au plus récent La Belle et la meute de Kaouther Ben Hania (2017).

Le deuxième enjeu symbolique dont les répercussions sont aussi économiques, a été celui de la moindre visibilité des réalisatrices et de leurs films, de leur absence dans les lieux de légitimation des films, en particulier dans les sélections des festivals les plus prestigieux, comme de leur accès inégal aux financements. Nous pourrions citer par exemple la controverse autour de l’absence des réalisatrices dans la sélection officielle du festival de Cannes en 2012 alors qu’elles étaient tout aussi absentes en 2010, et qu’on ne comptait toujours qu’une seule femme en 2013, Valéria Bruni-Tedeschi avec Un château en Italie (2013), parmi les 22 films de cette sélection. Les réalisatrices d’Afrique et du Moyen Orient sont largement absentes des grands festivals même si certains films ont été reconnus comme L’Enfant endormi (Yasmine Kassari, 2004) qui a remporté un très grand nombre de prix ou Les silences du Palais (Moufida Tlatli, 1994) qui a raflé la Caméra d’or à Cannes. Les travaux de recherche sur les films réalisés par des femmes (Colin Dönmez 2004, Kummer 2004, Laviosa and Mulvey 2009, Gauch 2009, Martin 2011, White 2015), ainsi que sur les réalisatrices (Gabous 1998, Hillauer 2006, Caillé 2010, Rollet 2012a, Tanriöver 2016, Ellerson 2017) ou encore sur la circulation de leurs films (Rollet 2012b, Caillé 2016) ont pour ambition de mettre en relief des films moins visibles et leurs autrices, d’interroger les mécanismes de cette sous-représentation, de constituer et valoriser ainsi un ou des patrimoine.s cinématographique.s par les femmes tout en posant la question de leur spécificité. Dans le sillon de ces recherches existantes, nous aimerions aujourd’hui reprendre et développer ce qu’Abdelkrim Gabous avait ébauché dans un ouvrage paru en 1998, Silence, elles tournent ! Les femmes et le cinéma en Tunisie, pour nous intéresser plus largement à la place des femmes dans les filières cinématographiques et les activités qui mènent au cinéma.

Dans les recherches précédemment citées et au-delà, la légitimité du cinéma d’auteur qui idéalise le rôle du réalisateur pour en faire un artiste/cinéaste (Sellier 2005), a oblitéré la contribution d’un grand nombre de collaborateurs et collaboratrices à la réalisation d’un film les reléguant par défaut au rang de simple assistance technique. Un des enjeux de cet appel est justement de poser non seulement la question des réalisatrices, mais aussi des femmes à tous les autres postes le plus souvent restés dans l’ombre. Une telle réflexion peut s’étendre à la place des femmes dans certains corps de métier, et de réfléchir à la façon dont opèrent les processus de recrutement, ou la façon dont les interactions entre hommes et femmes sont vécues au quotidien dans les équipes et les tournages (Gaudy 2008).

La démarche innovante de cet appel à articles réside dans l’interrogation au prisme du genre et dans une approche comparative, du fonctionnement d’une filière dans ses dimensions professionnelle, créative et culturelle. Il s’agira d’une part, d’une démarche patrimoniale dans le recueil de données sur des pays et/ou métiers qui n’en disposent pas. Cette approche nous permettra de rendre compte de l’accès aux métiers et de son impact en termes de production, de circulation et de valorisation des films. Dans ce sens, les propositions scientifiques attendues seront l’occasion d’une production de savoir inédite.

À travers cet appel à contributions lancé dans le cadre des activités du réseau HESCALE, nous aimerions rassembler une communauté de chercheurs et chercheuses intéressé.e.s par le défrichage de questions liées à la place, à la présence et à la visibilité des femmes dans les filières cinématographiques en Afrique et au Moyen Orient.

Dans ce cadre, nous privilégierons plusieurs grands axes de recherche qui ne sont pas exclusifs :

  1. Cet appel se veut une incitation à la collecte de données sur les films par des femmes, les réalisatrices, mais également sur les productrices, les ingénieures son, cheffes opératrices, les directrices artistiques, les monteuses souvent plus visibles au temps de la pellicule car considérées comme les couturières du cinéma. Est-ce encore le cas ? Quelle est la place des femmes dans les différents postes de la production, du tournage et aussi de la distribution et de l’exploitation ?
  2. Qu’en est-il des actrices ? Quelles formations, quelle palette d’activités pour quelles trajectoires ?
  3. Cet appel invite aussi les réflexions sur la place des femmes dans les formations au cinéma, et la manière dont ces dernières ont contribué ou non à une plus grande présence des femmes dans les filières ou à la mixité de certaines activités. Sont bienvenues des enquêtes concernant les trajectoires différenciées entre les hommes et les femmes, l’écart entre la formation et les subséquente percée et position dans les métiers.
  4. Nous sollicitons aussi des travaux sur le caractère genré du fonctionnement des filières cinématographiques, de la production, du tournage, etc. (Gaudy 2008). Qu’en est-il du recrutement, des interactions au quotidien dans les milieux souvent plus largement masculins du cinéma?
  5. Qu’en est-il de la capacité d’agir des femmes dans les filières, la façon dont elles ont laissé une marque, agi sur ou transformé la création cinématographique ?
  6. Qu’en est-il des dispositifs institutionnels ou associatifs mis en place pour favoriser l’accès des femmes à la réalisation, aux métiers du cinéma? Quels en sont les acteurs et actrices? L’intention, les modalités de l’action et l’impact?
  7. Qu’en est-il de la visibilité des femmes qu’elles soient cheffes opératrices, ingénieures du son, costumières ou scriptes, de la circulation et de la valorisation des films auxquels elles ont participé ? Quels en ont été les lieux et les enjeux de cette valorisation, et quel impact sur la présence des femmes dans les filières ?

Comme nous l’avons indiqué, nous privilégierons les travaux de terrain et les analyses qui en sont tirées. À ce titre, nous proposons d’accompagner les travaux des chercheurs et chercheuses dans une démarche plus collaborative en sollicitant dans un premier temps pour le 7 février 2019 un abstract de 500 mots (plus une mini-bibliographie de 5 à 10 entrées et une mini biographie de 5 lignes), un premier avis sera rendu le 17 mars. Les contributeurs et contributrices seront alors amené.e.s à soumettre une ébauche plus conséquente de leur recherche (une dizaine de pages) le 22 juin 2019, l’objectif étant d’offrir, outre la possibilité et d’une relecture, d’un approfondissement des questionnements, la mise en perspective des travaux afin de faire dialoguer les différentes recherches entre elles et d’envisager une discussion des démarches et de la méthode. Le texte final est attendu pour le 15 septembre. La publication de l’ouvrage envisagée pour le premier trimestre 2020, sera accompagnée de l’organisation d’un colloque international qui donnera lieu à des échanges et réflexions transversales. Les contributeurs et contributrices de l’ouvrage seront mis à l’honneur lors de cette manifestation scientifique.

Soumission des abstracts en français ou en anglais : 7 février 2019
(500 mots + courte bibliographie + mini-bio)

Retour des évaluations : 20 mars 2019

Premier rendu intermédiaire : 22 juin 2019

Rendu final de l’article : 15 septembre 2019

Sortie de la publication et colloque valorisation : 1er semestre 2020

Ce projet est soutenu par le Centre de recherches sur les Médiations (Université de Lorraine – EA 3476), par le Laboratoire Culture et communication (Université d’Avignon). D’autres demandes de financements sont en cours.

Envoyez vos abstracts à hescale.femmes.filieres@gmail.com

Ce volume est coordonné par Patricia Caillé (Université de Strasbourg, CREM EA 3476) patricia.caille@unistra.fr et Raluca Calin (Université d’Avignon) calin.raluca@gmail.com. N’hésitez pas à nous contacter pour toute information complémentaire!

Comité scientifique : Sara Blecher (Sisters Working in Film and Television, Afrique du Sud), Patricia Caillé (Université de Strasbourg, CREM EA 3476), Raluca Calun (Université d’Avignon), Beti Ellerson (African Women in Cinema), Claude Forest (Université de Strasbourg, IRCAV), Monia Lachheb (Institut de recherches pour le Maghreb contemporain, Tunis), Florence Martin (Goucher College, Baltimore), Patrick Ndiltah (Université de N’Djamena, Tchad), Francine Raveney (European Network for Women in the Film Industry), Brigitte Rollet (Université Versailles Saint-Quentin), Amal Ramsis (Cairo International Women’s Film Festival), Alessia Sonaglioni (EWA, European Network for Women in the Film Industry) (sous réserve), Hülya Ugur Tanriöver (Giresun University, Turquie), Sylvie Thiéblemont (Université de Lorraine, CREM EA 3476).

Bibliographie indicative

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Beauchemin-Flot, Christine et Yannick Flot, La vie des productrices, Paris, Seguier, 2016.

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