Appel à contribution – Le rôle des États envers le cinéma

Le rôle des États envers le cinéma.
 Monographies des Bénin, Burkina Faso, R.P. Congo, Gabon, Mali, Maroc, Togo

Assujettis à la fin du XIXe siècle à des administrations française ou belge avec divers statuts – colonie, protectorat, département -, nombre de territoires africains, dits aujourd’hui francophones lorsque la langue française y est devenue l’une des langues officielles, même si toujours parlée par une minorité de sa population, ont du s’inventer au moment de leurs indépendances un État et une fonction publique, le plus souvent importés et calqués sur le modèle de leur ancienne métropole.

Au niveau du cinéma, une attention et une organisation particulières lui ont été portés en France depuis 1940, précisément sous l’occupation allemande par le régime de Vichy, marquant le début d’un fort interventionnisme étatique en sa faveur. De nombreuses lois, puis un volumineux Code spécifique (1) en régissent le fonctionnement. Un établissement public juridiquement indépendant, le CNC, est doté de 479 agents pour veiller à son application et à la gestion d’un budget indépendant de celui de l’État grâce à des taxes spécifiques au secteur. Ses 671 millions d’euros de recettes (en 2017), lui permettent ainsi une variété de soutiens financiers, automatiques et sélectifs, en direction d’absolument tous les acteurs concernés, offrant une panoplie de mesures et un niveau d’aides inégalés dans le monde, et inégalables en raison même des circonstances historiques de son apparition puis de son développement.

Si le budget du CNC français représente donc à lui seul le tiers du budget annuel total d’un État comme le Bénin ou le Togo, l’évidence de l’incommensurabilité des situations financières n’exonère pas d’une réflexion sur le rôle et la place que les États africains, notamment francophones, ont joué depuis six décennies en direction de leurs cinémas. Si l’étroitesse des marchés et la faiblesse quantitative de la production empêchent souvent – notamment au sud du Sahara – de parler d’industrie cinématographique, partout, dans tous les pays, des individus et des entreprises ont tenté et tentent de plus en plus de vivre économiquement en réalisant ou montrant des films. L’Histoire a toutefois enseigné que ces tentatives n’étaient guère viables en l’absence d’une régulation de ce marché, voire d’un soutien –pas simplement financier mais déjà politique et réglementaire – par une autorité externe.

Face aux nombreuses difficultés rencontrées depuis les années soixante – poids d’entreprises étrangères, fraude, piratage, fermeture des salles, destruction de la filière, etc. – le désintérêt de nombre de ces États pour leur cinéma est patent, et l’absence de constance dans leurs (in)actions est devenue la norme. Mais au-delà du constat ou de la déploration stérile, maintes fois énoncés et cela dès la création de la Fépaci puis ensuite rituellement lors des colloques et festivals comme le Fespaco, les mécanismes des interventions de la puissance publique – réussies ou non, pérennes ou pas, symboliques ou consistantes – ont très rarement été analysées de manière circonstanciée dans ces pays. Très disparates entre le Maroc où le Centre cinématographique marocain joue un rôle structurant et volontariste majeur, permettant la renaissance d’une production depuis une quinzaine d’années, et la République centrafricaine où absolument rien de significatif ne s’est déroulé en six décennies, le rôle des États varie amplement. Mais ces faits n’ont jamais été que très sommairement évoqués dans la littérature scientifique, au détour de quelques monographies de pays par exemple, et jamais analysés de manière complète ni détaillé.

Le présent appel ambitionne de poser un jalon pour combler ce manque, afin de tenter d’évaluer précisément le rôle que chaque État africain francophone a pu/voulu jouer depuis sa création. Tant pour le Maghreb que pour l’Afrique sud saharienne, des monographies nationales précises pour chacun d’entre eux paraissent de ce fait nécessaires aujourd’hui.

L’approche se veut résolument pluridisciplinaire, notamment en abordant les axes suivants :

– Historiques : de quand datent les premières interventions de l’État du pays étudié ? Quelles évolutions réglementaires et organisationnelles ont-elles connues ? Des évènements nationaux (changement de gouvernement, obtention de prix en festival…) ou internationaux (conflits armés, plan d’ajustement structurel…) ont-ils modifié, et exactement quand et en quel sens, les (non)interventions de l’État ? Des États étrangers ont-ils pesé (et si oui, comment précisément), à l’origine ou en certaines circonstances, sur la relation de l’État africain vis-à-vis de son cinéma ? A-t-il existé, ou existe-t-il encore des « conseillers » étrangers auprès du Ministre concerné, et quel rôle ont-ils joué ? Quelles voies, indépendantes ou non du modèle français, ont-elles été tentées pour mettre en place puis développer une industrie nationale du cinéma, ou l’un de ses secteurs (industries techniques, production…) ? Etc.

– Juridiques : quelles formes légales et institutionnelles ont pris les interventions de l’État? Y a-t-il eu, et quand, un service ministériel (direction ou sous-direction cinématographique…) ou une institution autonome dédiée (tel le CCM) ? Y a-t-il eu le vote de textes de lois ou instauration d’un Code de l’industrie spécifique ? Existe-t-il un contrôle spécifique des recettes des salles de cinéma ? Une législation sur le droit d’auteur ? Les métiers de la filière cinéma et audiovisuelle sont-ils reconnus ? Quel est l’état des lieux contemporains des lois existantes, et sont-elles appliquées, et si non, pourquoi ? Existe-t-il des formations et/ou diplômes publics, professionnalisants ou généralistes, concernant les métiers de la filière ? Existe-t-il ou a-t-il existé des formes publiques d’initiation au cinéma pour les publics scolaires ? Etc.

– Sociologiques : si les premiers réalisateurs ont massivement été formés en Europe (France et URSS essentiellement), qu’en a-t-il été des premiers fonctionnaires et hommes politiques en charge du cinéma ? Et ultérieurement, comment s’est opérée leurs formations et recrutements ? Qui sont aujourd’hui les acteurs du secteur public concerné (sexe, âge, origines sociales…) et d’où viennent-ils (région, ethnie, formation…) ? Une proximité avec les dirigeants du pays est-elle requise, et de quelle autonomie d’orientation de la politique cinématographique disposent-ils ? Etc.

– Économiques : existe-t-il une ligne budgétaire de l’État en direction du cinéma ou de l’audiovisuel ? Si oui, est-elle votée par un parlement, ou attribuée de manière discrétionnaire (par le Président de la République, ou autre) ? Qui le gère ? Ses affectations sont-elles contrôlées ? Les comptes sont-ils publiés ? Les différentes branches de la filière (production, distribution, exploitation, industries techniques) sont-elles, ou ont-elles été, concernées ? L‘affectation des fonds aux bénéficiaires a-t-elle été effective ou un simple effet d’annonce ? L’aide à la production étant la forme la plus répandue, les films ont-ils été réalisés, ou le soutien public détourné à d’autres fins par leurs attributaires ? Quels impacts de l’intervention (ou non intervention) publique sur le dynamisme du secteur ? Quelles taxes et quels impôts affectent l’activité audiovisuelle, et quel rôle jouent-ils ? Le poids du secteur au sein de l’activité économique nationale (emplois, chiffre d’affaire, etc.) est-il reconnu, valorisé ou ignoré par l’État? Etc.

Chaque proposition s’intéressera à un seul pays ; elle pourra être rédigée collectivement.

Calendrier :
-Les propositions de contribution, rédigées en français, d’une page environ, comportant le pays concerné, la problématique, le corpus et la méthodologie, sont à envoyer accompagnés d’un court CV à claudeforest92@yahoo.fr, avant le 15 juillet 2019, l’avis étant rendu sous quinzaine.
-Les textes, d’une longueur de 20.000 à 60.000 caractères, seront à livrer pour le mois d’octobre 2019.
La publication est prévue pour le début de l’année 2020 aux éditions l’Harmattan, dans la collection Images plurielles – Scènes et écrans.

1 Centre national du cinéma et de l’image animée, Code du cinéma et de l’image animée, Paris, CNC, 908 pages au 14 février 2018.